Edito
Et l’instinct ?
C’est amusant, on voit encore de nos jours des gens s’écharper pour savoir si la théorie et la technique tuent ou non la musicalité et l’instinct. Que cela concerne des instruments sur lesquels on peut faire impression sans avoir réellement travaillé n’est finalement pas très étonnant. La basse, la batterie et la guitare sont à la base de styles très basiques et il est vrai qu’on pourrait, de prime abord, penser que si la musique est simple à écrire ou à décrire, on n’a pas besoin de travailler pour la jouer. C’est amusant, mais dans cette querelle sans fin, ce sont souvent ceux qui n’ont pas envie de faire les efforts nécessaires pour progresser qui mettent en cause les vertus du travail acharné.
Pourtant, les fainéants géniaux sont plutôt rares dans le métier, pour ne pas dire inexistants, et pour se permettre d’être fainéant, il faut avoir écouté assez longtemps et avoir développé un instinct suffisant pour être dans la justesse. Un type allongé sur son canapé avec un casque sur les oreilles, c’est souvent un musicien qui travaille sans le savoir. Pourquoi, dans ce cas, se priver d’un peu plus de connaissances ? D’un peu plus de vélocité. Ce qu’on apprend en travaillant, c’est souvent à nommer les choses, pour pouvoir les identifier, les transposer, les adapter, les reprendre à sa sauce. John Paul Jones a étudié la musique et personne n’oserait le taxer de bassiste cérébral. Mike Kerr a énormément travaillé pour finalement faire une musique qui fait appel aux tripes. Emeline Fougeray a suivi une formation solide et sérieuse, mais on l’appelle pour sa capacité à groover. Ils racontent tous plus ou moins la même histoire, une histoire dans laquelle aucune heure de travail ne les a éloignés de leur instinct de musicien, celui qui fait d’eux des artistes singuliers qui connaissent ce qu’ils jouent et se connaissent sans doute mieux que s’ils s’étaient contentés de transmettre ce qui leur tombait sous les doigts au début de leur étude de l’instrument. La plupart n’étaient même pas bassistes au départ. Il est plutôt plaisant de se dire qu’on va, en travaillant, renforcer son instinct, le rendre plus aigu, plus mordant et apprendre plus facilement à débrancher son cerveau pour se caler sur sa pulsation interne pour mieux toucher ceux qui nous écoutent. Savoir mettre un nom sur les notes qu’on joue ne les rend pas moins belles, comme savoir nommer les fleurs ne les rend pas moins agréables à regarder.
Ce mois-ci encore, nous célébrons notre instrument préféré, celui qui maintient tout le groupe debout, donne un sens aux accords, celui qui fait remuer les popotins. Entre interviews, tests matos et pédago, voici une bonne tranche de basses fréquences. On se retrouve dans deux mois, jouez bien d’ici là et abonnez-vous pour ne manquer aucun numéro.
Régis Savigny
Numéro 106
7,90€