Edito
Faites comme bon vous semble
Autant on a un peu tendance à vous conseiller les mêmes choses, soignez votre matériel, travaillez au métronome, bossez votre oreille... autant la plupart de ces recommandations n’ont que peu d’effet si vous-même ne savez pas où vous allez. Même chose dans les écoles de musique où on évalue surtout ce qui est facile à évaluer : la lecture, l’harmonie, l’exécution de morceaux imposés, mais où on a tendance à éviter soigneusement le sujet de la création. Phénomène certes bien français, la tendance à penser que les gens naissent avec ou sans talent et que la composition, la création de manière générale, ne sont pas des qualités qui s’acquièrent, tout ceci nous bouffe la vie et véhicule un cliché nous concernant qui n’est pas des plus utiles : le mythe du musicien oisif naturellement doué, alors que l’essentiel d’entre nous est constitué d’honnêtes besogneux. Après, faire le nécessaire pour être bon, progresser et dominer son instrument n’est pas une qualité suffisante. Une grande part des musiciens qui ont marqué leur époque, leur instrument ou leur style ont certes travaillé comme des ânes, mais ont également, à un moment de leur carrière, envoyé valser tout ou partie de la tradition, des règles établies et des clichés. Ainsi, Lemmy a réinventé le son de la basse metal en détournant une basse et surtout un ampli pas forcément taillé pour la basse. John Myung a également décidé qu’il jouerait sur six cordes à l’époque où la quasi-totalité de ses collègues ne jouaient que des quatre ou cinq cordes.
De toute façon, vous aurez beau être le meilleur du monde, ceux qui attireront l’attention seront toujours les plus originaux et les plus authentiques. Même s’ils sont moins bons que vous, même s’ils ne sont pas doués techniquement, même s’ils ont commencé après. C’est injuste, mais c’est ainsi : l’être humain aime parler à ses congénères, aime écouter un autre être humain et est même très doué pour repérer un de ses semblables. On voudrait nous faire croire que l’IA va remplacer les musiciens parce que techniquement on peut faire créer un morceau à un ordinateur suffisamment entraîné. Oui, mais que recherche-t-on quand on écoute de la musique ? Certainement pas entendre une perfection absolue, ni même une quelconque maîtrise, tant qu’on nous raconte une histoire et qu’on a l’impression de communiquer avec un autre être humain. On nous présente l’art comme étant une question d’objet, alors qu’il n’est question que de la personne qui est derrière, à laquelle on peut s’identifier ou avec laquelle on peut compatir. Certainement pas du support de cette empathie. Donc, un conseil, soyez bons, certes, mais un ordinateur finira toujours par être meilleur que vous, alors que pour ce qui concerne votre humanité, les algorithmes peuvent toujours courir. Et rappelez-vous que ce ne sont pas les histoires des gagnants qui font les meilleures chansons, mais celles des losers, des exploités, des différents et des malheureux. Quand nous serons tous augmentés et infaillibles comme le rêvent certains fous furieux, quelles histoires aurons-nous à raconter et qui sera là pour les écouter ?
La rédaction
Numéro 115
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